Par Thelma Morel et Marine Siegenthaler

Propos d’avant-spectacle : [28 octobre 2025]
Procès d’une plume libre
La salle Nuithonie à Villars-sur-Glâne propose une pièce qui questionne la liberté d’écriture. Les représentations auront lieu du 13 au 15 novembre et c’est le talentueux Adrien Barazzone, qui a écrit et mis en scène ce procès : Toute intention de nuire.
C’est le titre du spectacle, débordant de suspens, qui a attiré notre regard et qui a titillé notre curiosité.
Le spectacle recèle une forme inhabituelle : il est la reconstitution du jugement qui oppose une auteure à un avocat.
Le professionnel du droit commet l’erreur de livrer ses secrets à l’écrivaine. Quelque temps plus tard, il retrouve des échos de son histoire dans un livre récemment publié par celle-ci. Cela nuit non seulement à sa vie professionnelle, mais aussi à sa sphère personnelle. De là, s’ensuit une lutte juridique entre les deux protagonistes.
Ce sont les acteurs Alain Borek, Marion Chabloz, Mélanie Foulon, et David Gobet qui se livreront à l’interprétation de cette audience.
Ce spectacle plongera sûrement la salle dans un questionnement concernant les limites de l’expression en littérature : celle-ci a-t-elle tous les droits ?
Le pessimisme du titre nous met en garde : sachant qu’il s’agit d’une affaire juridique, qui sera la victime ? Celle qui, dans son roman, rabaisse l’homme de loi, ou celui qui accuse, potentiellement à tort, la femme de lettres ?
Nous nous attendons à un débat haut en couleurs et fort en émotions. Cela risque d’être aussi foisonnant de rebondissements qu’il y a de lois dans notre code civil. Nous avons hâte de découvrir comment Adrien Barazzone incorpore son mélange de finesse, de tension et d’humour dans cette enquête vivante.
Quel sera le verdict ?
Propos d’après-spectacle : [25 novembre 2025]
Quand l’ironie prend le marteau du juge
Ce procès, qui devait opposer la liberté d’expression et la protection de la vie privée, met en lumière les conséquences que de simples suspicions peuvent avoir sur la vie de quelqu’un, ainsi que les responsabilités qui en découlent. Selon Alexandre, le personnage de Bel dans le roman « Marcher sans craindre le ravin » lui ressemble, autant sur le plan physique que moral. De plus le roman trahit le fait que Bel ne serait pas le véritable père de sa fille. Ce secret, appartient également à Alexandre. Il l’avait confié à Pauline, l’autrice, quelques années auparavant. Après avoir dévoré le roman et découvert la vérité, la fille d’Alexandre refuse de lui adresser la parole, et la femme de ce dernier demande le divorce. Il accuse donc l’écrivaine d’avoir dévoilé une partie de sa vie privée et d’être responsable de ces tensions familiales. Evidemment, Pauline dément les accusations. Il est difficile de trancher car la juge doit s’appuyer sur la Jurisprudence et tenter de faire apparaître la vérité, avec pour preuves de simples passages du roman et des témoins incapables de répondre aux questions.
A notre grande surprise, Adrien Barazonne a choisi de tourner la forme stricte d’un procès en une situation absurde. Tout était moqueries et caricatures, des caractéristiques qui ne trouvent habituellement pas leur place dans le domaine du droit. Pour illustrer ceci, nous avons relevé quelques exemples. Lorsque la juge a demandé à l’assemblée de s’asseoir, personne n’a daigné lui obéir, et la magistrate n’apportait, par exemple, pas d’importance au fait de devoir jurer de dire la vérité. L’avocat de la défense ne posait aucune question pertinente et était loin de se donner corps et âme pour défendre sa cliente. Les témoins n’offraient aucune réponse satisfaisante et préféraient s’étaler sur des sujets qui ne facilitaient nullement l’enquête. La juge et l’avocat ont même fini par échanger leur place, donnant l’impression que seuls l’accusée, Pauline Jobert, et le plaignant, Alexandre Badadone, se souciaient réellement de l’affaire.
L’immersion dans l’ambiance a été immédiate : aucune ouverture de rideau ou extinction de lumières ne pouvaient témoigner du début du spectacle, ce qui a éveillé notre surprise. Tels les jurés, nous étions toujours en lumière lorsque la juge a fait son entrée, suivie des différents partis, avant de préparer ses pièces à conviction et ses dossiers.
Quant au décor, il était très minimaliste. L’architecture était une copie de tribunal, agrémentée d’éléments abstraits : un squelette métallique habillé de planches de bois formait la base classique qu’on retrouve dans un palais de justice, ainsi que les éléments essentiels, tels que la barre des témoins. Des rideaux blancs pendaient derrière la structure, comme pour restreindre la scène.

Les jeux de lumières étaient peu présents, ce qui donnait une impression de monotonie. Sur toute la durée du spectacle, celle-ci se tamisait, nous emmenant doucement dans la fiction. Vers la fin, quelques projecteurs éclairaient les scènes se rapportant au livre de Pauline, avant de plonger les spectateurs dans le noir, pour inviter aux applaudissements. Selon nous, cela créait un parallèle entre la salle éclairée du début, représentant le domaine juridique, et la salle plongée dans le noir, illustrant une fin théâtrale.
Le son était également peu présent, excepté quelques bribes de musique lors des différents témoignages, ainsi qu’un chant italien, qui nous a paru étranger au contexte.
Au terme du spectacle, les applaudissements ont accueilli les acteurs avec un enthousiasme troublé d’incertitudes, suite à l’omission du verdict. Nous sommes reparties en plein débat, aux vues de la tournure inhabituelle qu’avait ce procès. Nous avons aimé ce moment riche, satisfaisant, qui nous a fait beaucoup réfléchir.
Adrien Barazzone est connu pour sa capacité à maitriser l’ironie au sein de ses œuvres. En effet, nous avons retrouvé sa marque de fabrique tout au long de la pièce. Entre son texte humoristique et les personnages caricaturés, truffés de divers accents, de mimiques et d’une gestuelle exagérée et munis d’accessoires clichés : l’humour était au rendez-vous. Ce goût de la mise en scène dynamisait les monologues, le manque d’éléments découverts concernant l’avancée de l’affaire ainsi que la forme peu entrainante qu’on retrouve habituellement au tribunal.
Nous souhaitons souligner le remarquable jeu des différents acteurs, qui ont tous interprétés entre deux et trois rôles. Ces changements de personnages étaient marqués par des changements de costumes et d’accessoires, effectués sur la scène.
La pièce interroge la frontière entre l’intention et la responsabilité, montrant à quel point de simples suspicions peuvent bouleverser des vies. Elle met en lumière le poids du regard social et moral, qui peut condamner avant même qu’un verdict ne soit rendu. En laissant ce procès sans conclusion, la pièce souligne l’ambiguïté de la justice et de la vérité, ainsi que la difficulté à trancher.
