Toute intention de nuire

Par Thelma Morel et Marine Siegenthaler

Procès d’une plume libre

La salle Nuithonie à Villars-sur-Glâne propose une pièce qui questionne la liberté d’écriture. Les représentations auront lieu du 13 au 15 novembre et c’est le talentueux Adrien Barazzone, qui a écrit et mis en scène ce procès : Toute intention de nuire.

C’est le titre du spectacle, débordant de suspens, qui a attiré notre regard et qui a titillé notre curiosité.

Le spectacle recèle une forme inhabituelle : il est la reconstitution du jugement qui oppose une auteure à un avocat. 

Le professionnel du droit commet l’erreur de livrer ses secrets à l’écrivaine. Quelque temps plus tard, il retrouve des échos de son histoire dans un livre récemment publié par celle-ci. Cela nuit non seulement à sa vie professionnelle, mais aussi à sa sphère personnelle. De là, s’ensuit une lutte juridique entre les deux protagonistes.

Ce sont les acteurs Alain Borek, Marion Chabloz, Mélanie Foulon, et David Gobet qui se livreront à l’interprétation de cette audience.

Ce spectacle plongera sûrement la salle dans un questionnement concernant les limites de l’expression en littérature : celle-ci a-t-elle tous les droits ?

Le pessimisme du titre nous met en garde : sachant qu’il s’agit d’une affaire juridique, qui sera la victime ? Celle qui, dans son roman, rabaisse l’homme de loi, ou celui qui accuse, potentiellement à tort, la femme de lettres ?

Nous nous attendons à un débat haut en couleurs et fort en émotions. Cela risque d’être aussi foisonnant de rebondissements qu’il y a de lois dans notre code civil. Nous avons hâte de découvrir comment Adrien Barazzone incorpore son mélange de finesse, de tension et d’humour dans cette enquête vivante.

Quel sera le verdict ?

Quand l’ironie prend le marteau du juge

Ce procès, qui devait opposer la liberté d’expression et la protection de la vie privée, met en lumière les conséquences que de simples suspicions peuvent avoir sur la vie de quelqu’un, ainsi que les responsabilités qui en découlent. Selon Alexandre, le personnage de Bel dans le roman « Marcher sans craindre le ravin » lui ressemble, autant sur le plan physique que moral. De plus le roman trahit le fait que Bel ne serait pas le véritable père de sa fille. Ce secret, appartient également à Alexandre. Il l’avait confié à Pauline, l’autrice, quelques années auparavant. Après avoir dévoré le roman et découvert la vérité, la fille d’Alexandre refuse de lui adresser la parole, et la femme de ce dernier demande le divorce. Il accuse donc l’écrivaine d’avoir dévoilé une partie de sa vie privée et d’être responsable de ces tensions familiales. Evidemment, Pauline dément les accusations. Il est difficile de trancher car la juge doit s’appuyer sur la Jurisprudence et tenter de faire apparaître la vérité, avec pour preuves de simples passages du roman et des témoins incapables de répondre aux questions.

A notre grande surprise, Adrien Barazonne a choisi de tourner la forme stricte d’un procès en une situation absurde. Tout était moqueries et caricatures, des caractéristiques qui ne trouvent habituellement pas leur place dans le domaine du droit. Pour illustrer ceci, nous avons relevé quelques exemples. Lorsque la juge a demandé à l’assemblée de s’asseoir, personne n’a daigné lui obéir, et la magistrate n’apportait, par exemple, pas d’importance au fait de devoir jurer de dire la vérité. L’avocat de la défense ne posait aucune question pertinente et était loin de se donner corps et âme pour défendre sa cliente. Les témoins n’offraient aucune réponse satisfaisante et préféraient s’étaler sur des sujets qui ne facilitaient nullement l’enquête. La juge et l’avocat ont même fini par échanger leur place, donnant l’impression que seuls l’accusée, Pauline Jobert, et le plaignant, Alexandre Badadone, se souciaient réellement de l’affaire.

L’immersion dans l’ambiance a été immédiate : aucune ouverture de rideau ou extinction de lumières ne pouvaient témoigner du début du spectacle, ce qui a éveillé notre surprise. Tels les jurés, nous étions toujours en lumière lorsque la juge a fait son entrée, suivie des différents partis, avant de préparer ses pièces à conviction et ses dossiers.

Quant au décor, il était très minimaliste. L’architecture était une copie de tribunal, agrémentée d’éléments abstraits : un squelette métallique habillé de planches de bois formait la base classique qu’on retrouve dans un palais de justice, ainsi que les éléments essentiels, tels que la barre des témoins. Des rideaux blancs pendaient derrière la structure, comme pour restreindre la scène.

Les jeux de lumières étaient peu présents, ce qui donnait une impression de monotonie. Sur toute la durée du spectacle, celle-ci se tamisait, nous emmenant doucement dans la fiction. Vers la fin, quelques projecteurs éclairaient les scènes se rapportant au livre de Pauline, avant de plonger les spectateurs dans le noir, pour inviter aux applaudissements. Selon nous, cela créait un parallèle entre la salle éclairée du début, représentant le domaine juridique, et la salle plongée dans le noir, illustrant une fin théâtrale.

Le son était également peu présent, excepté quelques bribes de musique lors des différents témoignages, ainsi qu’un chant italien, qui nous a paru étranger au contexte. 

Au terme du spectacle, les applaudissements ont accueilli les acteurs avec un enthousiasme troublé d’incertitudes, suite à l’omission du verdict. Nous sommes reparties en plein débat, aux vues de la tournure inhabituelle qu’avait ce procès. Nous avons aimé ce moment riche, satisfaisant, qui nous a fait beaucoup réfléchir.

Adrien Barazzone est connu pour sa capacité à maitriser l’ironie au sein de ses œuvres. En effet, nous avons retrouvé sa marque de fabrique tout au long de la pièce. Entre son texte humoristique et les personnages caricaturés, truffés de divers accents, de mimiques et d’une gestuelle exagérée et munis d’accessoires clichés : l’humour était au rendez-vous. Ce goût de la mise en scène dynamisait les monologues, le manque d’éléments découverts concernant l’avancée de l’affaire ainsi que la forme peu entrainante qu’on retrouve habituellement au tribunal.

Nous souhaitons souligner le remarquable jeu des différents acteurs, qui ont tous interprétés entre deux et trois rôles. Ces changements de personnages étaient marqués par des changements de costumes et d’accessoires, effectués sur la scène.

La pièce interroge la frontière entre l’intention et la responsabilité, montrant à quel point de simples suspicions peuvent bouleverser des vies. Elle met en lumière le poids du regard social et moral, qui peut condamner avant même qu’un verdict ne soit rendu.  En laissant ce procès sans conclusion, la pièce souligne l’ambiguïté de la justice et de la vérité, ainsi que la difficulté à trancher.

Ami(s)

Par Arthur Dumont et Antoine Auer

Là-haut sur la montagne…

« Ils sont deux, dans un téléphérique suspendu à un fil. L’un est une star. En pleine crise existentielle, il cherche le silence et un sens à sa vie. L’autre est un admirateur, ordinaire, invisible. Le hasard les réunit là, au-dessus du vide, au milieu des va-et-vient de skieurs huppés. Le hasard ? Pas sûr. Car le fan de la première heure est venu demander des comptes à celui qui l’a toujours ignoré… »

Ainsi commence le synopsis de Ami(s).

Nous avons choisi ce théâtre, Ami(s), car ce synopsis nous semblait intéressant et nous connaissions déjà les comédiens, Thierry Romanens, qui est à la radio, aux Dicodeurs, et Nicolas Rossier (un ancien du collège) qui a joué dans toute la francophonie et qui est une figure du théâtre suisse.

Nous pensons donc que ce théâtre aura de l’humour, de l’extravagance et qu’il saura nous étonner. En outre, ce « s » entre parenthèses, est intrigant : qu’est-ce que cela signifie ? Comment va-t-il être intégré à la pièce ?

Nous pensons que le « s » représente l’ambiguïté entre la vie d’une star et la vie quotidienne, où la vie d’une star est idéalisée. Et même un sentiment de proximité avec une star peut être ressenti. L’amitié peut donc être unilatérale ou bilatérale.

L’autrice de cette création est Yasmine Char qui a déjà reçu nombre de prix. Elle est née à Beyrouth et a vécu dans le monde avant d’arriver en Suisse en 1993. La metteuse en scène, Sandra Gaudin, est née à Lausanne et jouit d’une réputation qui s’étend au-delà de nos frontières. Le journal Le Temps écrit que ses spectacles sont des « jeux de société, avec leurs règles secrètes, leurs coups de dés providentiels, leurs trappes impromptues, leurs gambades surprises», ce qui titille notre curiosité. Nous attendons donc de confirmer cela.

Représentations : 6 et 7 novembre 2025, 20h00, durée : 1h20

Une télécabine qui monte… sans nous embarquer

Une télécabine est placée en milieu de scène. Elle y restera durant l’entier de la représentation. Bien qu’elle ne se déplace pas, des mesures sont prises pour donner le sentiment de mouvement au spectateur. La cabine peut effectuer des rotations autour de son centre, et un écran dans le fond de la scène a été disposé pour mimer son déplacement le long de sa remontée.

La lumière froide, très simple, éclaire entièrement la scène. Cette neutralité de la lumière reflète la froideur des personnages au début de la pièce ; en effet, ils ne se parlent pas pendant la première partie du spectacle. Ce n’est qu’à partir du moment où la cabine se stoppe que le jeu de lumière change, reflétant les actions des personnages. La lumière, tantôt froide quand les personnages se confessent, tantôt chaude quand les personnages sont heureux, projette alors des formes de couleurs sur le sol. Ce jeu des formes contraste avec le reste du temps, car c’est la première fois que la lumière change drastiquement. Ceci provoque chez le spectateur un agréable effet de surprise.

La pièce commence par un jeu sonore : la star est en train de téléphoner avec une voix qui grésille, puis la batterie se vide et la voix de l’acteur résonne. Ce petit effet, qui pourrait paraître anodin, installe une proximité entre le spectateur et le personnage en laissant la voix naturelle sans amplification. Ensuite, au moment de la panne, un interphone intervient et accentue l’étrangeté de la télécabine. Cet interphone devient alors le centre de l’attention, ce qui est souligné par une projection de la cabine sur le fond. Quand le guide chante, nous avons été surpris par cette arrivée inattendue du chant dans l’atmosphère posée jusqu’ici. Nous avons trouvé en outre que les différents effets sonores étaient trop amplifiés et que cela cassait la magie du spectacle.

Les protagonistes principaux sont vêtus pour l’un d’un accoutrement assez basique qui reflète une certaine aisance financière. L’autre porte des habits de montagne et un sac à dos qui contient des accessoires assez attendus. Cette différence de costumes nous a permis d’identifier rapidement les différences sociales entres les deux personnages. Les autres personnages sont apparus eux aussi presque caricaturés : avec un manteau de fourrure blanc pour l’une, et un accoutrement de snowboard pour l’autre. Selon nous, les différents accessoires étaient plutôt banals.

Malgré le discours et le message sur l’amitié qui a réveillé en nous un questionnement (qui sont nos véritables amis, qu’est-ce que la réussite dans la vie ?), nous demeurons mitigés quant à cette représentation : nous avons trouvé le début long et avons même décroché à plusieurs reprises.

Nous n’avons franchement pas compris la signification du « s » entre parenthèses. Nous n’avons que des hypothèses du type : nous n’avons qu’un véritable ami, ou « l’amitié ne va que dans un sens »…

L’extravagance attendue n’était pas au rendez-vous, ce qui nous a un peu déçus. La mise en scène était simple, et la pièce, de manière générale, paraissait presque trop simple. Nous avons parfois ri, mais l’humour était, au final, que très peu présent. Nous n’avons pas réussi à déceler les éventuelles subtilités de la pièce, ce que nous avons regretté.