In bocca al lupo

Par Baptiste Rittener et Clemens Wellensiek

Entre crocs et frissons

Du 30 Octobre au 14 Novembre se jouera la pièce In bocca al lupo au théâtre de Vidy. Cette pièce abordera le sujet très délicat du loup en Suisse, entre le sauvage et l’élevage. Ce débat très actuel secoue la Suisse, les écologistes promouvant la santé de l’écosystème et les agriculteurs tentant de sauver leurs bêtes.

Le titre de la pièce, In bocca al lupo (dans la gueule du loup), est une expression utilisée en Italie dans le milieu du théâtre pour se souhaiter bonne chance avant de monter sur scène. On se jetterai dans la gueule du loup comme on se jette devant le public. Comme ce jeu de mots l’indique, cette pièce a pour but de fusionner le théâtre et la thématique du loup. La pièce inclura donc une installation vidéo, un médiateur transdisciplinaire, et d’autres éléments surprenants.

La metteuse en scène, Judith Zagury, a l’habitude de travailler avec des animaux. En collaborations, elle a amené sur scène plusieurs animaux avec Être Bête(s),un cheval avec Hate, et même deux poulpes avec Temple du Présent. Cette fois-ci, c’est en metteuse en scène qu’elle va tenter de créer cette connexion entre le monde animal et le monde des humains.

En 2017, Judith Zagury a créé ShanjuLab, un « laboratoire de recherche théâtrale sur la présence animale ». C’est un pôle de création artistique qui explore le contact avec les animaux sur les plans de l’éthique animale et de l’éthologie. Dans son espace à Gimel, vers Morges, le poulailler, le parc des chèvres, et celui des chevaux cohabitent avec le monde humain.

Ce n’est donc pas se créer de faux espoirs que de s’attendre à une présence animale sur scène, notamment des chiens de troupeau se baladant entre les câbles des ordinateurs. Ce sera sûrement très intéressant d’observer le comportement de chiens sur scène. Vont-ils aboyer lorsqu’une vidéo de loup sera diffusée? Comment vont-ils interagir avec les acteurs? Perdent-ils leurs repères sur ce lieu qui leur est étranger? Pour répondre à ces questions, rendez-vous à Vidy pour vivre une expérience unique en son genre !

Une pièce qui vous dévore de l’intérieur

La question du loup, sans doute une des plus épineuses et émotionnelles à laquelle la Suisse fait face, a été mise en scène au théâtre de Vidy dans In bocca al lupo. Très loin du théâtre classique, cette pièce peut être qualifiée de documentaire immersif dans le monde animal. Immersif au sens scénographique, avec des vidéos projetées à 360 degrés autour du spectateur, au sens physique, avec le public qui peut s’installer sur la scène, et au sens animal, avec la présence de trois chiens de troupeau.

Cette pièce est avant tout un véritable travail de recherche qui se veut le plus neutre possible. On passe en effet d’audios d’agriculteurs emplis d’émotion à un médiateur entre le monde animal et humain, puis enfin apparaît le loup lui-même. Cela permet vraiment au spectateur d’avoir une vue d’ensemble de la question. De plus, la journaliste qui tape en direct les informations sur le loup donne un côté encore plus factuel à ce sujet.

C’est également un chef d’œuvre au niveau cinématographique. Judith Sagury nous a confié avoir travaillé des heures et des heures pour sélectionner les images et les vidéos les plus pertinentes. Le résultat permet au spectateur d’observer, à travers les caméras, la vie animale. Les plans choisis sont remarquables : au lieu de filmer depuis le haut une vache tuée par un loup, la caméra part à quelques millimètres de la bête tuée et recule ensuite lentement jusqu’à ce que le public reconnaisse la carcasse. Cela ajoute un côté écœurant, c’est très bien pensé. Les caméras pièges permettent également de s’immiscer dans la nature et la vie des loups. Ceci permet au spectateur de voir les interactions au sein de la meute et avec d’autres animaux, comme les vaches ou les biches.

Ce qui rend cette pièce unique, c’est également la présence de chiens de troupeau sur scène. Cela pose des questions éthiques : pourquoi diabolise-t-on les loups et aime-t-on les chiens, alors que sur le plan biologique ils sont cousins ? Avons-nous le droit de les dresser les uns contre les autres ? Ce sont des questions qui méritent d’être posées.

L’intérêt réside aussi dans le fait d’avoir introduit les chiens dans un environnement qui ne leur est pas naturel. Cela amène à des interactions intéressantes entre les chiens et les éléments qui les entourent, comme lorsque ces derniers aboient quand un loup passe à l’écran. Une tension est ainsi créée : on voit le loup approcher, un chien hurle, les autres le suivent, on se croirait véritablement dans une forêt. Les chiens ajoutent également une touche légère au spectacle qui aborde quand même une thématique lourde. Ils font sourire les visages des petits et des grands par leurs jeux et par leurs personnalités uniques qui rapprochent le monde animal au monde humain.

In bocca al lupo est donc une véritable réussite, car le sujet est abordé de manière neutre, sans aucun côté donneur de leçons. Contrairement aux tabourets, la pièce, très bien structurée, tient très bien debout. L’atmosphère singulière créée par Judith Sagary et son équipe immerge le public dans cet univers, de sorte que le spectateur n’en ressort pas indifférent.