Par Julien Richoz et Baptiste Rittener

Propos d’avant-spectacle : [23 septembre 2025]
Le manque de tolérance peut-il nous paralyser ?
Du 25 septembre au 12 octobre 2025, le Théâtre des Osses à Givisiez accueillera la pièce Intolérances et Paralysie , une création mise en scène par Anouk Werro. Le titre, à lui seul, intrigue : il associe deux noms, deux concepts qui n’ont a priori aucun lien, c’est pourquoi nous avons choisi cette pièce dont les comédien(ne)s nous sont inconnus.
Le site du théâtre des Osses résume ainsi la pièce :
« Une jeune femme, Louise, vit en colocation dans la banlieue de Londres, dans une grande et très belle maison. Un jour, à son retour, elle découvre la porte entrouverte. Depuis le couloir, elle aperçoit la cuisine saccagée : nourriture renversée, micro-ondes fracassé et frigo ouvert. Elle pense à un cambriolage, mais un bruit étrange, un ronflement, la conduit à une scène inattendue. Monika, la femme de ménage, est étendue sur la table… »
Il y a probablement une forme de déception dans cet extrait. Le spectateur s’attend à vivre un moment d’action, en l’occurrence un cambriolage, mais la réalité est pour le moins assez déroutante…
Peu d’éléments ont été dévoilés sur le contenu précis de la pièce. Toutefois, plusieurs pistes apparaissent déjà. Le spectateur peut s’attendre à une atmosphère singulière, qui, comme l’indique le titre, sera marquée par des situations de crise et des personnages en perte de repères. L’écriture, décrite comme fragmentée et rythmée, semble vouloir traduire le désordre des pensées et l’impossibilité de communiquer simplement.
Il s’agit de la deuxième pièce montée par Anouk Werro, après A 5 ans, j’ai oublié le français . Comme cette dernière, cette performance théâtrale ne sera certainement pas confortable pour le spectateur. On peut s’attendre à être bousculé et à se questionner sur la communication entre les individus. Alors attendez-vous à un rendez-vous qui s’annonce à la fois déroutant et stimulant.
Propos d’après-spectacle : [27 octobre 2025]
Figés devant l’injustice
Surpris, désorienté, paralysé. Tel est l’état du spectateur en sortant de la représentation d’Intolérances et Paralysie, d’Anouk Werro. Il vient en effet d’assister à une pièce déroutante, autant par le message qu’elle véhicule que par son interprétation théâtrale et sa mise en scène atypiques. Une pièce où les inégalités sociales pointées du doigt ne peuvent laisser indifférent.
Deux projecteurs face à face, quelques néons, deux haut-parleurs et un plateau surélevé au milieu d’un cercle de chaises. Dans l’obscurité, un lourd silence règne, puis les deux comédiennes entrent en scène.
La pièce tourne principalement autour de la question des inégalités sociales, illustrées par la figure de la femme de ménage. Une jeune étudiante, Louise, rentre chez elle, une magnifique maison victorienne. Là, elle découvre sa femme de ménage, Monika, affalée sur la table de la cuisine, inerte. Cette dernière finit par se réveiller et s’explique : elle a fait un malaise, causé par un sentiment d’impuissance et d’injustice. Elle confie à l’étudiante que même en travaillant toute sa vie dans cette maison, elle ne pourra jamais se la payer. Cette déclaration provoque un malaise palpable dans le public.
D’un côté, une femme qui se bat, qui travaille inlassablement pour gagner sa croûte ; de l’autre, une étudiante dont le riche père finance une maison luxueuse. L’étudiante ne devrait pas être « au-dessus » de la femme de ménage, et pourtant, elle l’est : c’est précisément cette injustice qui dérange.
Pour faire passer ce message, la metteuse en scène, Anouk Werro, a habillé l’étudiante de bottes à la mode et de plusieurs couches de vêtements, soulignant ainsi sa situation financière confortable, créant du malaise. Ce qui donne un relief particulier à cette pièce, c’est qu’elle s’inspire d’une expérience réelle vécue par la metteuse en scène. En effet, Anouk Werro nous a confié avoir un jour retrouvé sa propre femme de ménage inerte dans sa cuisine. Ce choc lui a inspiré la création de cette œuvre, la rendant d’autant plus percutante et touchante. Une chose est sûre : le message passe.
Cependant, la pièce ne se limite pas au seul thème de la femme de ménage. Après cette scène initiale, une parenthèse singulière s’ouvre : les néons blancs, seuls éclairages de la pièce, passent au rouge, créant une atmosphère mystique. Les deux comédiennes quittent alors la scène, laissant le public livré à lui-même, tandis que des sons de vaisselle envahissent la salle. Ce moment suspendu dure de longues minutes ; peut-être symbolise-t-il la monotonie des tâches ménagères, mettant ainsi le public à la place de la femme de ménage ?
Un certain nombre d’autres scènes, dérivant de l’histoire principale, viennent également s’immiscer dans l’intrigue. Le but ? Créer, une pièce politisée, abordant non seulement les inégalités sociales (comme mentionné précédemment), mais aussi les inégalités de genre, les questions d’orientation sexuelle, l’anticapitalisme et la critique de la bourgeoisie.
Un bon exemple est la scène de l’accouchement, où l’une des deux comédiennes simule une mise au monde compliquée, hurlant à la mort. L’effet produit : un embarras visible dans le public, très probablement voulu par Werro. Encore une fois, un message féministe transparaît à travers cette scène, qui semblait pourtant quelque peu déconnectée du fil conducteur. Ces parenthèses, aussi déroutantes que fortes, rendaient parfois la compréhension du propos un peu difficile, mais participaient à sa singularité.
Intolérances et Paralysie a donc été une pièce chargée de messages forts, de thématiques importantes que la société nous dissimule. Malgré quelques moments de vide et quelques scènes venues de nulle part, l’excellente utilisation des costumes, de la lumière, et du son ont permis de marquer le public, qui est sans doute parti enrichi par cette expérience.