La distance

Par Joanne Grand et Sarah Schwendimann

L’Espace entre nous

Le théâtre de Vidy accueillera sur son plancher, du 13 au 23 novembre, la pièce La Distance, écrite et mise en scène par le très connu et talentueux Tiago Rodrigues, grande figure du théâtre contemporain.

Dans cette pièce, Adama Diop et Alison Dechamps joueront la fille et son père, séparés par des millions de kilomètres. En effet, l’intrigue se déroule en 2077 lorsque les humains auront su transformer les films de science-fiction en réalité : la moitié des hommes se sont désormais établis sur la planète rouge tandis que l’autre partie, fragile et précaire, est condamnée à errer sur la planète bleue. Les quelque 225 millions de kilomètres séparant le père et la fille représentent un obstacle quant à leur communication. Comment continuer à maintenir une relation quand autant d’étoiles que de kilomètres nous séparent ?

Cette pièce nous a intriguées, tout particulièrement en raison de son metteur en scène. Notre professeur de Français nous avait mentionné son nom après être allé voir Catarina et la beauté de tuer des fascistes. Nous avons trouvé son œuvre originale et notre professeur a réussi à éveiller notre curiosité.

En quelques clics, nous avons constaté la célébrité de Tiago Rodrigues puisque le Portugais est le président du festival d’Avignon ! Nous nous attendons donc à une grande performance. Nous espérons que la pièce abordera des thèmes actuels, comme le changement climatique, même si l’intrigue se déroule dans le futur. Nous nous attendons à être touchées car des millions de kilomètres ne sont pas nécessaires pour défaire des liens et mettre à mal une relation…  Nous sommes curieuses de savoir comment la pièce et sa configuration seront amenées et comment la relation entre le père et sa fille se développera.

Le 15 novembre prochain, nous nous envolerons pour Mars et ses déserts. Suivez notre odyssée, Terriens !

La plus grande distance, c’est l’oubli

Voilà un jour qui s’est écoulé depuis notre venue au théâtre de Vidy pour assister à la pièce La Distance. En rentrant chez nous, nous nous sommes senties chamboulées, bouleversées et un tas d’émotions faisaient tempête en nous, comme une tempête de sable sur la planète mars. Nous nous sentions tristes. Etrangement, nous nous sentions connectées avec les autres spectateurs. Il était réconfortant de voir des personnes chamboulées et, pendant une heure et demie, un lien s’est créé. Nous étions aussi apaisées, tout comme Ali, médecin resté sur terre, et père d’Amina, partie sur mars pour devenir une Oubliante.

En entrant dans la salle, la scène était plongée dans la pénombre, mais nous pouvions tout de même distinguer, au centre du plateau, un cercle de terre aride. Celui-ci était divisé en deux parties égales par un large arbre couché et un relief rappelant les collines martiennes. Le comédien Adama Diop, qui joue le père, se trouvait déjà sur scène, ce qui est plutôt inhabituel. Il était déjà immergé dans son rôle, serein, et écoutait un disque offrant aux spectateurs une ambiance de jazz.

Puis silence. La pièce débute. A ce moment-là, les lumières ne sont pas encore complètement éteintes, mais tamisées, avec des couleurs chaudes. Chaque spectateur attend avec impatience les mots du père. Il s’adresse à sa fille dans un message vocal, posant toute l’intrigue : sa fille s’est rendue sur mars, pour oublier le passé et se concentrer uniquement sur une nouvelle humanité. Tout comme le père, le spectateur se demande pourquoi. Dès la première réplique, nous sommes prises dans l’intrigue. Nous voulions absolument savoir. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi avoir quitté la terre pour s’embarquer dans une odyssée spatiale à la Ray Bradbury sans même prévenir son père. On apprend bien vite que sa fille est avant tout une jeune femme libre qui regarde encore plus loin que l’horizon, comme lorsque, petite, elle s’aventurait dans l’immensité de la mer sans prêter attention aux dangers du monde. Leur relation est tumultueuse et il n’a pas été nécessaire de quitter la terre pour créer une distance. Puis le cercle se met à bouger sur lui-même et nous faisons face à Amina et au décor martien. Toute l’intrigue est basée sur ces deux personnages qui sont si proches l’un de l’autre sur scène et en même temps séparés par des millions de kilomètres.

La vie sur mars est austère : aucun oxygène, aucune sortie libre en dehors de ces couloirs souterrains et, comme seule musique, un son de frigo comme un bourdonnement continu (que le spectateur entend tout au long de la pièce). A travers leurs échanges, les deux personnages se disputent sans même réellement s’écouter, pendant que la plateforme continue de tourner sur elle-même. L’un pose une question, l’autre ne répond pas. Le seul moment où la plateforme s’arrête de valser est lorsque la fille rêve de son père. Dans un moment suspendu, les limites physiques se brouillent et les deux s’étreignent. Même si cet amour est difficile, celui-ci est infini et constant.

 Il y eut aussi ce moment très fort où la terre et mars se trouvaient sur le même axe et que la communication entre le père et la fille allait devenir impossible. A ce moment-là, la scène tournait à toute vitesse, nous faisant ressentir le temps qui avait filé trop vite et qu’il était maintenant trop tard. Pour accompagner cette scène, un projecteur à lumière orange était braqué dans la direction des spectateurs. Presque éblouies, nous pouvions ressentir ce que les deux personnages vivaient.

Le jeu d’acteur était vraiment impressionnant ! Les deux personnages arrivaient à nous faire ressentir les mêmes émotions qu’eux, ce qui nous maintenait constamment dans l’intrigue. Le fait d’avoir une scène qui tourne devait être un vrai défi pour les deux acteurs et la production, mais tout était parfaitement exécuté, comme une danse.

La Distance est donc un réel succès autant du côté du contenu de la pièce, riche en émotions, qui thématise les liens familiaux (ici plus particulièrement le lien père–fille), que du côté du jeu d’acteurs renversant. Le spectateur n’en ressort pas indifférent et avec une petite larme au coin de l’œil. Si vous souhaitez aller voir la pièce (ce que nous vous recommandons), alors sortez les mouchoirs!

Adama Diop avant le commencement de la pièce